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Disons-le tout net : je souscris totalement à toute volonté de revitalisation de nos centres-villes. Je trouve que cela va dans le bon sens. Ayant passé une partie de mon enfance dans l’Est de la France, je me rappelle à quel point il faisait bon déambuler dans cette belle de ville de Metz et dans les villages alentours, à quel point j’aimais flâner et vivre là-bas.

Je comprends par conséquent l’intérêt croissant pour les villes désertées, petites et moyennes, et que l’on cherche à faire revivre. Dernier dispositif en date : « Action Cœur de Ville » (annoncé fin mars dernier) qui concerne 222 villes moyennes et qui voit une enveloppe de 5 Mds€ sur cinq ans mis à disposition (1 Md€ de la Caisse des dépôts en fonds propres, 700 M€ en prêts, 1,5 Md€ d’Action Logement et 1,2 Md€ de l’Anah).

Trois bémols avant d’entrer dans le vif du sujet. Premièrement, 222 villes sont concernées sur les plus de 35 000 communes françaises, autant dire… rien du tout.

Deuxièmement, ces villes entre 12 000 et 150 000 habitants relèvent d’une grande disparité de difficultés : entre Limoges (134 000 habitants en 2015), Guéret (13 000 en 2015) ; entre Chambéry classée 34e dans les villes où il fait bon vivre et Saint-Quentin en pleine désertification ; entre des villes d’Île-de- France ou des communes comme Aurillac située à plus d’une heure de la première autoroute…

Enfin, la communication autour de l’Action Cœur de Ville a tourné autour des 5 Mds€ de crédits ; alors que ces financements sont des fonds déjà accessibles aux collectivités, les 222 villes n’ayant qu’une priorité sur ces subventions. Par conséquent, parler d’une enveloppe budgétaire est un glissement sémantique impropre : c’est un droit de préséance et rien d’autre.

Un peu d’histoire

Certains ne se souviennent pas des années 60 à 70, où les petits commerçants, les artisans, étaient légion dans les bourgs de France.

Depuis 40 ans, pourtant, on a multiplié les catalyseurs de destruction, volontaires ou non. Les politiques locales ont poussé les petits commerces vers les périphéries en copiant le modèle américain avec réussite. On a souhaité que tous nos jeunes fassent des études en abandonnant le travail manuel et en encourageant à plus de diplômes poussant nos adolescents à rejoindre les grandes métropoles. On a désindustrialisé le territoire pour ne s’intéresser qu’au tertiaire et aux services, oubliant toute planification intelligente ; quand ce ne sont pas tout simplement les franchises qui ont fini d’assassiner nos bourgs…

Et tout d’un coup, les « bien-sachants » sortent de leur sommeil de plomb. Ils en appellent à s’en remettre à « Saint » Jacques Mézard, ancien ministre de la Cohésion des territoires ou à la toute nouvelle « fille prodigue » Jacqueline Gourault et à leur Action Cœur de Ville, pour voir les centres ressuscités à la manière du Lazare biblique. À croire qu’en une incantation, les commerces fleuriraient de nouveau, sortiraient tout penauds de leur sépulcre sans comprendre le temps passé.

Il est vrai que le secteur privé montre son intérêt pour les commerces de pied d’immeuble ; mais uniquement pour les villes de plus de 50 000 habitants, plus rentables, plus dynamiques. S’en remettre au secteur privé ne pouvait donc être une solution pour tous. Et quid des communes les moins peuplées ?

Le combat impossible

Impossible cependant de combattre la désertification par la seule lutte contre la vacance des commerces de centres-villes (passée au-dessus des 12,2 % pour les villes moyennes de moins de 200 000 habitants (voir rapport Procos)). Attention, il n’est nullement question de faire un procès à l’Action Cœur de Ville qui tente de jouer sur tous les fronts : logements, développement économique, accessibilité et services publics, patrimoine et espace public. De même, les interlocuteurs mis autour de la table sont les bons. Reste à savoir si la réussite sera de mise…

Sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure, le mal a déjà été fait. Nos villages et nos villes regorgeaient d’idées et de talents que nous avons laissés dépérir et que l’on peine à faire revenir. C’est l’exemple de la commune de Romans-sur-Isère, spécialiste historique de la fabrication de chaussures de luxe, ou encore de Morez, la capitale de la lunette concernées par l’Action Cœur de Ville.

De plus, l’État pense dans le mauvais sens : mettre des nouveaux logements, rendre les centres plus agréables, attirer des commerces… Mais sans travail : aucune chance que les habitants restent, fondent une famille, vivent. Et je ne crois pas que l’Action Cœur de Ville réussira la résurrection, quand bien même elle serait associée à d’autres dispositifs gouvernementaux. La solution ne viendra pas que de l’État seul, mais d’une conjonction d’acteurs et de volontés plus locales : des habitants, des maires, des acteurs privés… Pour redynamiser les cœurs de ville, c’est le tissu économique local qu’il faut densifier. Un proverbe chinois dit : « Quand un homme a faim ; mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner du poisson. »

L’Action Cœur de ville, c’est du verni sur une gangrène. Elle symbolise à merveille la schizophrénie étatique : on annonce la volonté de redonner vie aux bourgs, mais on laisse les services publics fuir les zones qui ne sont pas rentables : la police, les médecins et les hôpitaux, les transports ferroviaires, et que dire du réseau internet ? On fait des pôles de santé en périphérie, on exporte les cinémas hors des villes mais on veut que reviennent les commerces… On encourage la limitation de la circulation en voiture pour des questions de pollution : mais sans voiture dans les villes moyennes il est impossible de se déplacer (sans parler que le passage à 80 km/h a augmenté les temps de trajet sur les départementale de 12,5 %)…

Ce que donne l’État d’une main, il l’enlève de l’autre. Je n’en appellerai pas à une politique de grands travaux ou à la venue d’un Roosevelt à la française, mais je sais qu’il va être nécessaire de penser mieux les choses, plus en profondeur, en évitant les effets d’annonce qui pourraient décourager les habitants de ces villes délaissées ou faussement prises en compte par des ronds de jambes médiatiques. Pour se faire, ne faut-il pas se fier à l’expertise des acteurs du commerce ?


Article paru sur Business Immo